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samedi 21 décembre 2024

Mer Union : la compagnie maritime de l’océan Indien

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Connue du milieu professionnel maritime réunionnais comme la compagnie du transport conventionnel (non conteneurisé, principalement l’acheminement de matériaux et matériel de construction), Mer Union relie actuellement l’Europe et les îles de l’océan Indien tous les deux mois. Les navires qu’elle affrète font escale, dans un ordre qui peut varier en fonction des marchandises transportées, à Madagascar, aux Comores, à Mayotte, à Maurice et à La Réunion. L’agent de Mer Union est Steinweg France/océan Indien, qui gère les affrètements des bateaux, la consignation dans les ports de chargement et de déchargement et coordonne les opérations de manutention. Christelle Goinden-Flambard est en charge du développement à La Réunion et Mayotte. C’est à cette ligne maritime, filiale du groupe néerlandais Steinweg, que l’on doit l’expédition, depuis 2022, de chargements de déchets dangereux vers la métropole, alors que les grandes compagnies régulières, confrontées aux perturbations du fret maritime international, délaissaient La Réunion. Le transport de déchets étant devenu une nouvelle spécialité de Mer Union, un troisième navire quittera le port de la pointe des Galets le 23 avril, pour Le Havre. À elle seule, cette actualité justifie de mettre en lumière cette ligne maritime, implantée à La Réunion depuis 2004, qui présente en outre un profil assez proche de ce que pourrait être une compagnie maritime régionale. C’est-à-dire une compagnie dont la vocation serait, d’une part, d’améliorer la liaison avec la métropole et, d’autre part, de faciliter les échanges entre les îles de l’océan Indien. Deux missions auxquelles travaille Mer Union pour développer ses activités. Pour Leader Réunion, Christelle Goinden-Flambard explique d’où vient et où souhaite aller la ligne maritime de l’océan Indien.

Spécialité de Mer Union, le transport conventionnel concerne le transport des marchandises non conteneurisables.

Leader Réunion : Mer Union est une société belges, dont le siège est à Anvers, ayant dans son capital la Coopérative ouvrière réunionnaise (COR). Comment s’explique ce lien avec La Réunion ?

Christelle Goinden-Flambard : Mer Union est née d’une volonté de proposer des solutions de transport conventionnel au départ d’Europe vers La Réunion. Cette activité avait vu le jour en 2004, en lien avec le lancement des travaux de la route des Tamarins. D’importants volumes de matériaux de construction, d’engins de travaux, d’éléments métalliques hors gabarit, devaient être acheminés à La Réunion. Steinweg est un groupe de dimension internationale qui assure des activités de commissionnaire de transport et de manutentionnaire. Le groupe est très implanté dans les ports du nord de l’Europe, notamment le plus grand d’entre eux, Rotterdam, où il possède ses propres quais de chargement. En Belgique également, dans le port d’Anvers, il a ses propres quais et sa propre main d’œuvre de manutention. Steinweg est l’agent de Mer Union, compagnie spécialisée dans le transport breakbulk, ce qui correspond en simplifiant au transport de marchandises non conteneurisées, ce que l’on appelle aussi le transport conventionnel. Steinweg France/océan Indien a également des agences à Madagascar, à Maurice et aux Comores. Ce développement s’est accentué avec l’arrivée du directeur général France/océan Indien Patrick Lalanne, en 2017.

La COR a-t-elle participé à la naissance de Mer Union ?

Vous ne chargez et déchargez pas un porte-conteneurs de la même manière qu’un navire breakbulk, qui nécessite des moyens de manutention et de levage complètement différents. Et les dockers de la COR possèdent ce savoir-faire dont nous avions besoin. Cette haute technicité de la manutention en fait un partenaire naturel de notre métier.

Vous citiez la route des Tamarins. Mer Union s’est donc développée en lien avec les grands travaux réunionnais ?

Le service que nous proposons répond à une demande précise : la capacité de transporter ce qui n’est pas conteneurisable. Le fret lié aux travaux de construction fait partie de ce produit breakbulk. Nous affrétons des bateaux dont les cales sont compatibles avec les matériaux de construction. Cette comptabilité de marchandises fait que nous nous sommes positionnés sur les importations de matières premières destinées à la construction, et sur tout ce qui est matériel et engins roulants de travaux publics. Nous possédons l’expertise du chargement et du déchargement de ce type de marchandises, en particulier du levage de matériel très lourd. Pour citer un exemple, notre dernier chargement, arrivé fin janvier, transportait le Jac qui va permettre de sonder le fond marin pour la construction de la dernière partie de la nouvelle route du Littoral.

Que recouvre cette notion de breakbulk, quels produits sont concernés ?

En matériaux de construction, le bois, le placo, l’acier. Tous les engins de travaux publics : grues, tractopelles, camions, excavateurs, chariots élévateurs, etc. Nous transportons aussi des transformateurs. Tout ce qui ne craint pas l’humidité, ni la pluie, et peut être stocké à l’extérieur.

Les rotations sont bimestrielles

En desservant l’océan Indien depuis l’Europe sans escales intermédiaires, Mer Union a comme renoué avec l’histoire maritime de La Réunion. Comment fonctionne la ligne : est-elle régulière ou des navires sont-ils affrétés au cas par cas en fonction des besoins ?

Mer Union assure une rotation tous les deux mois. Nous partons du port d’Anvers. Le bateau met entre 35 et 40 jours pour atteindre l’océan Indien. Plusieurs paramètres sont à prendre en compte dans l’ordre des escales. Le très lourd, qui va en fond de cale pour la stabilité du bateau, est généralement destiné à La Réunion. Ensuite, on monte vers du plus léger. Les marchandises en pontée seront les premières à être déchargées.

Pourquoi ce choix de contourner l’Afrique par l’Ouest au lieu de passer par le canal de Suez comme les autres compagnies ?

Nous transportons des marchandises dangereuses, ce qui engendre un surcoût au passage par le canal de Suez, ainsi que des restrictions. Certains produits dangereux ne sont pas acceptés par les autorités du canal.

Cela rallonge le délai de transport ?

Passer par le cap de Bonne-Espérance nous fait perdre quelques jours. Mais nous évitons les contraintes réglementaires qui s’appliquent au passage du canal de Suez. Et, au vu de la conjoncture actuelle en mer Rouge, il serait imprudent de passer par le canal.

Mer Union et Steinweg sont implantés dans tous les ports de la région ?

Steinweg, agent de Mer Union, a des agences à Madagascar, à Maurice et à La Réunion… Nous avons des projets de développement dans d’autres îles de la zone.

La rentabilisation de la ligne se fait uniquement dans le sens de l’Europe vers l’océan Indien, ou dans les deux sens ?

Les exportations de déchets de La Réunion jouent aujourd’hui le premier rôle dans le sens de l’océan Indien vers l’Europe. Au mois d’avril, nous opérerons notre troisième transport de déchets depuis La Réunion. Nous ramenons aussi des marchandises vers l’Europe. L’année dernière, au mois de mars, nous avons affrété un bateau pour ramener plusieurs grues qui avaient été utilisées dans l’île, notamment la grue qui a été utilisée pour les nouvelles éoliennes de Sainte-Rose. Et celle, également imposante, ayant servi au projet CNIM de pôle multifilières de traitement des déchets Run Eva. Cette opération a demandé une préparation spécifique. Elle a confirmé la qualité de l’expertise et du savoir-faire de Mer Union pour le transport de matériel d’exception. Tout s’est parfaitement déroulé.

 

Carte de la ligne maritime Mer Union.

En desservant ainsi La Réunion, Madagascar, Maurice, les Comores, Mayotte, Mer Union ne joue-t-elle pas le rôle d’une compagnie maritime régionale ?

Qu’est-ce que l’on entend par compagnie maritime régionale ? Est-ce le fait que l’État et les collectivités investissent des capitaux publics dans la structure, comme dans Air Austral pour l’aérien ? Notre volonté initiale, avec Mer Union, est de proposer aux opérateurs économiques un service complémentaire de ceux des compagnies régulières, en profitant des opportunités de développement des îles de l’océan Indien. Beaucoup d’entreprises considèrent qu’il leur est impossible d’importer ou d’exporter d’une île à l’autre de manière régulière par manque de solution logistique. Je pense notamment aux entreprises réunionnaises qui ont envie d’aller travailler à Mayotte — où tout est à faire, où les chantiers se multiplient —, qui se demandent comment faire sur le plan logistique. Mer Union permet justement d’aller à la rencontre de ces clients et de leur proposer des solutions. Nous sommes en mesure d’assurer un service qui réponde à une demande locale. Je dirais que c’est dans ce contexte que nous avons une vision régionale. Nous souhaitons faire découvrir aux entreprises de l’océan Indien cette solution breakbulk.

Vous ne prenez donc que des produits non conteneurisés…

Nous pouvons prendre du conteneur. C’est ce que nous faisons avec l’activité d’exportation de déchets. Mais nous n’avons pas vocation à nous substituer aux lignes régulières de conteneurs. L’objectif est de se positionner sur notre niche de marché, le breakbulk, sur des demandes d’opportunité auxquelles les compagnies régulières ne pourront pas répondre. Nous avons acquis une véritable expertise du transport maritime entre les îles. Nous avons cette capacité, en tant que petit opérateur, de nous adapter aux conditions des ports de l’océan Indien. Et nous avons la connaissance des marchés et des spécificités de ces territoires. Pour cela, il faut être présent dans les îles et rencontrer les opérateurs économiques. C’est ce que nous faisons à Mer Union.

Il y a donc des flux de transport breakbulk entre les îles?

Nous ne sommes encore qu’aux prémices du développement de Mer Union dans la connectivité et l’interaction entre les îles. Mais sur notre liaison Moroni-Longoni-pointe des Galets, par exemple, nous transportons régulièrement de la marchandise. Ce ne sont pas de gros volumes, mais un flux est en train de se mettre en place. Nous avons peu communiqué jusqu’à présent sur cette proposition de services inter-îles. C’est grâce à des solutions logistiques adaptées que les entreprises vont pouvoir s’ouvrir sur l’extérieur.

Faites-vous du transport en vrac ?
Le vrac alimentaire, notamment les céréales, n’est pas compatible avec le type de matériel que nous transportons en breakbulk. Mais affréter un navire exclusivement pour du vrac, c’est tout à fait envisageable.

Vous avez joué un rôle déterminant dans le montage des opérations d’exportations de déchets dangereux.

Tout est parti, en 2022, d’une sollicitation d’opérateurs privés saturés de déchets qu’ils n’arrivaient plus ni à exporter, ni à stocker. Durant cette période, tout le monde était très inquiet et ne savait plus comment gérer les déchets. Leur accumulation et la saturation des lieux de stockage représentaient un risque environnemental. En relation avec la Région Réunion, la préfecture et la DEAL, le Syndicat de l’importation et du commerce de La Réunion a fait appel à nous pour savoir si nous pouvions répondre à ce besoin. Nous avons démarré l’étude de ces déchets et des conditions de leur transport jusqu’en métropole et nous avons pu mettre en place une organisation. Mer Union a démontré sa capacité à s’ajuster aux besoins du marché et à faire preuve d’une grande souplesse en introduisant un service direct reliant Mayotte à La Réunion, puis au Havre. La distance et l’éloignement de La Réunion et de Mayotte avec la France métropolitaine complexifient en effet le transport de marchandises. Afin de faire face aux difficultés rencontrées sur nos territoires insulaires, il a fallu réfléchir à des solutions de remplacement. Mer Union a répondu en offrant une solution adaptée qui a permis d’acheminer plus de 4 200 tonnes de déchets, dont 3 800 tonnes de déchets dangereux en 2022, soit plus de 300 conteneurs de déchets transportés. L’opération s’est renouvelée l’année ddernière, et une troisième expédition a lieu ce mois-ci.

L’exportation de déchets va-t-elle devenir une activité régulière de Mer Union ?

Notre ambition est de proposer deux bateaux par an. Je prévois le bateau suivant au mois d’octobre. Pour ce type d’opérations, ce qui est apprécié, c’est la solution de transport en service direct de Mer Union. Elle évite les contraintes administratives auxquelles sont soumises les compagnies régulières qui escalent dans différents ports. Il faut à minima entre six et huit mois de délai pour obtenir les autorisations préalables permettant d’entrer dans un port avec des déchets ! Avec Mer Union, une entreprise qui souhaite exporter ses déchets devra respecter la réglementation nationale et fournir un bordereau de suivi de déchets.

Comment cette spécialité d’exportation des déchets est-elle perçue par votre société-mère, Steinweg ?

Nous avons eu la chance d’accueillir le CEO de notre groupe, Ulf Boll, en septembre dernier. De passage à La Réunion, nous avons eu l’opportunité d’échanger. Monsieur Ulf Boll est quelqu’un de très ouvert, il est très favorable à la prise d’initiative sur des business où personne ne se positionne, aux réponses à des demandes dont on n’a pas l’habitude. Il nous soutient dans notre volonté de faire connaître Mer Union. Il est fier de notre parcours et nous incite à continuer sur cette voie.

Comment se présente l’année 2024 pour Mer Union, avez-vous des projets de développement ?

Nous sommes en développement continu, notamment sur l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Sud, puisque notre ligne passe au large de la côte occidentale africaine. J’étais au Cap en février dernier, au Mining Indaba, le grand rendez-vous international du secteur minier, pour étudier les opportunités que peut offrir ce secteur pour augmenter nos fréquences, actuellement d’un bateau tous les deux mois. Pour augmenter la fréquence des rotations, nous avons besoin d’augmenter nos volumes transportés. Nos bateaux passant au large de l’Afrique de l’Ouest, ils pourraient parfaitement déposer du matériel en chemin, au Sénégal, au Gabon, en Namibie ou ailleurs. Une telle augmentation de flux nous permettrait de proposer des solutions de transport plus régulières dans l’océan Indien. Cela fait partie des pistes de développement de Mer Union. Nous y travaillons. Nous attendons également l’évolution du projet d’exploitation gazière de Total au Mozambique. Total doit faire une annonce prochainement sur la suite du projet. Ce qui est établi, c’est la volonté de Total d’utiliser une base arrière française. Par ailleurs, Mer Union et Steinweg seront présents à la FIM, à Madagascar, du 21 au 26 mai prochain. Ce salon est le rendez-vous économique de l’océan Indien, ce sera l’occasion de continuer à promouvoir notre activité interîles.

Mayotte semble crouler sous les problèmes. Vous pointez aussi un problème d’approvisionnement : lequel ?

Les lignes régulières n’ont pas de service direct entre l’Europe et Mayotte, Mer Union représente une solution pour acheminer du matériel et des matières premières sur place. Mais Mayotte est un département en crise, et les opérateurs économiques en pâtissent, à commencer par nous qui sommes au début de la chaîne. S’y ajoute la problématique du port de Longoni, qui n’a que deux quais de déchargement, dont l’un est en travaux depuis bientôt deux ans. Ces travaux doivent s’achever à la fin de l’année. Mais jusqu’à sa réouverturenous serons confrontés à la contrainte d’un port congestionné. Lors de notre dernière escale, nous avons attendus quatre jours avant de pouvoir décharger.

Vous êtes à la barre d’une activité pour le moins complexe. Comment voyez-vous l’avenir de votre métier ?

Je reste positive sur l’avenir de notre métier. Nous avons commencé à le démontrer avec nos navires exports. Le service conventionnel aide au développement interîles, tant pour transport de marchandises que pour le transport de déchets. Dans un second temps, nous restons attentifs au besoin de transport en provenance et à destination de l’Afrique de l’Est, pour lequel un service de transport conventionnel est tout à fait adapté au développement de projets industriels.

La marque Mer Union s’affiche désormais à toutes les activités
du groupe Steinweg à La Réunion et dans la région.

Christelle Goinden témoigne tout d’abord de la qualité des formations de l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de La Réunion, dont elle a suivi l’un des cursus : BTS en commerce international, suivi d’une licence d’assistance export, puis d’un master en management et gestion des entreprises.

Elle témoigne aussi de sa détermination de progresser pour atteindre ses objectifs, car ce master, elle l’a suivi en cours du soir alors qu’elle avait déjà intégré l’antenne réunionnaise du logisticien Necotrans (disparu en 2017). Christelle Goinden reste cinq ans chez Necotrans Réunion avant d’être mutée au siège de la société à Roissy, où elle se voit confier le road management pour le Sénégal, le Mali et le Cameroun. Elle rejoint le groupe Steinweg en 2016, devenant sa responsable commerciale à Marseille. Elle découvre le transport conventionnel, lorsque l’opportunité lui est donnée en 2019 de revenir à La Réunion pour remplacer la responsable du service breakbulk. La marque Mer Union s’affiche désormais sur toutes les activités du groupe Steinweg à La Réunion et dans la région. Christelle Goinden-Flambard est aujourd’hui l’agent de la ligne maritime Mer Union.

Propos recueillis par Olivier Soufflet et photos Pierre Marchal Anakaopres

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