La Réunion, comme n’importe quel autre territoire, doit trouver sa place et avoir son mot à dire sur la planète IA, qui semble tourner de plus en plus vite et faire tourner bien des têtes. D’où l’importance de disposer de compétences et de ressources en IA dans l’île, sans avoir besoin d’aller en chercher ailleurs. Nous avons demandé à Anaïs Sery, directrice générale de Digital Réunion, l’association réunionnaise des professionnels du numérique, cofondatrice de l’association Intelligence Artificielle Réunion, de dégager les contours, les tenants et les aboutissants de cette planète IA telle qu’elle se présente réellement aujourd’hui, notamment en reliant ses enjeux mondiaux et locaux. À distance de la dimension fantastique ou métaphysique que prend le débat sur l’IA, et sans pour autant l’ignorer, le but dans l’immédiat est de faire des IA des « alliées » de l’humain, plaide Anaïs Sery, qui invite les entreprises, mais aussi les salarié(e)s, à prendre la juste mesure de l’outil, à en comprendre le fonctionnement et à en voir les applications concrètes possibles dans leurs activités. Des « petites » IA sont à créer à l’échelle des besoins du territoire. Ce premier pas peut être accompagné par des professionnels aguerris. L’écosystème numérique réunionnais se mobilise pour ne pas manquer ce nouveau tournant de l’histoire humaine riche de potentiel, mais aussi de dangers.
Patrick Martin, président du Medef, Clara Chapaz, ministre déléguée chargée de l’intelligence artificielle et du numérique,
Véronique Torner, présidente de Numeum.
Réunion, Anaïs Sery et Luc Julia, expert en intelligence artificielle.
Leader Réunion : Vous étiez à Paris à l’occasion du Sommet mondial pour l’action sur l’IA, autour duquel plusieurs événements étaient organisés. Avez-vous eu le sentiment de vivre un moment historique ?
Anaïs Sery : Il fallait y être, c’est certain. Des gens venant de tous les horizons étaient rassemblés à Paris : Américains, Sud-Américains, Indiens, etc. Nous n’étions pas si nombreux que cela – il y avait moins de 4 200 personnes à Station F –, mais de pouvoir rencontrer des gens venus des quatre coins de la planète, échanger avec eux, comprendre les enjeux de l’IA à tel et tel endroit du monde, c’était très enrichissant. La délégation réunionnaise a pu suivre les dix jours de cette séquence mondiale. Nous avons eu le temps de prendre le pouls de tous ces événements, de confronter plusieurs retours d’expérience qui parfois concordaient, parfois se contredisaient. De plus, des annonces très importantes pour l’écosystème français, et pour l’Europe, ont été faites. Donc, à mon sens, oui, il fallait y être.
Quel était le programme de la délégation réunionnaise ?
Le tour de France de l’IA, organisé par le Medef et Numeum *, avait été ouvert le 30 octobre à La Réunion : nous l’avons clôturé le 4 février à Paris. Au cours d’une rencontre en tout petit comité, des entrepreneurs réunionnais ont pu échanger avec Luc Julia, ingénieur et informaticien franco-américain spécialisé dans l’intelligence artificielle, que nous avions accueilli à La Réunion au mois de décembre **. Il leur a fait part de sa vision et de son expertise sur des sujets qui les concernaient directement. Le 7 février, nous avons participé à l’AI France Summit de Numeum. Une journée essentiellement consacrée aux utilisations pratiques de l’IA. Comment elle transforme la manière de faire de la comptabilité, de gérer les ressources humaines, la relation client avec les voice bots, etc. Ce fut très intense.
Avec les intelligences artificielles qui se développent à la vitesse grand V, ne sommes-nous pas en train d’entrer pour de bon dans la société cybernétique anticipée par les auteurs de science-fiction ?
Nous avons ce sentiment de vitesse grand V parce que l’on parle beaucoup d’IA depuis la sortie de ChatGPT, le 30 novembre 2022. Il est exact qu’il y a énormément de progrès dans le domaine de l’IA, car il y a un grand nombre de capitaux disponibles qui permettent de pousser la recherche dans beaucoup de directions et de développer des outils. Mais il y aussi beaucoup d’effets d’annonce, qui alimentent cette euphorie. De grands pas sont faits dans la recherche, mais les choses n’apparaîtront pas du jour au lendemain. Ce sont des années de recherche qui pourront se concrétiser. Quant à la société cybernétique, peut-être que nous y sommes déjà, sans en avoir concience. Les algorithmes dirigent déjà une grande partie de nos vies. La prise de conscience est en train de se produire, accompagnée par la peur de voir l’IA toucher l’intellectuel, l’œuvre de l’esprit, c’est-à-dire quelque chose que l’humain pensait être le seul à pouvoir maîtriser et dupliquer. Cela nous bouleverse, car nous n’avons jamais vécu autant de changements de paradigmes en si peu de temps avec une seule technologie.
Les IA génératives sont souvent interrogées par les non-initiés comme s’il s’agissait de personnes. Est-ce une forme de naïveté ?
C’est une forme de méconnaissance de la façon dont fonctionnent les IA. Ce sont des modèles statistiques, notamment pour les LLM, les large language models, de type ChatGPT. Ce sont aussi des modèles statistiques qui génèrent des images. Il n’y a pas d’intelligence comparable à l’intelligence humaine derrière, il n’y a que des mathématiques. Cette méconnaissance fait que l’on peut être bluffé par des IA et l’on peut s’attacher aussi à elles. Il y a déjà des cas et il y en aura certainement d’autres, sans doute davantage lorsque s’accomplira la combinaison entre robotique et IA : des gens vont s’attacher à des robots. Mais, pour ressentir, il faut un corps, et les IA n’en ont pas.
digital, cofondateur de l’association
Intelligence Artificielle Réunion
Invité en fin d’année dernière par Digital Réunion à s’exprimer sur l’IA, Luc Julia avait préféré parler d’intelligence « augmentée » plutôt qu’artificielle. Est-ce la bonne définition ?
Quand le terme d’intelligence artificielle a été créé en 1956, intelligency était pris dans le sens d’information, comme dans CIA. C’est pourquoi Luc Julia insiste pour dire et redire qu’il n’y pas d’intelligence dans l’IA. À Digital Réunion, nous le rejoignons complètement dans sa volonté d’expliquer que l’IA ne va pas nous remplacer, mais va nous « augmenter », dans le sens qu’elle va nous permettre de travailler plus rapidement et surtout plus qualitativement. Cette notion du qualitatif permis par l’IA est en train de devenir déterminante. L’IA, ce n’est pas qu’une question de rapidité, de productivité au sens pur. Je pense que parler d’humain augmenté, de travailleur augmenté, oui, c’est la bonne définition.
À la base, vous êtes experte en marketing. Qu’est-ce qui vous passionne dans l’IA et vous a incité à vous former à sa connaissance ?
Les IA peuvent être appliquées dans énormément de domaines. Dans le marketing, qui est la connaissance du client, de sa psychologie, de ses attentes, on l’utilise depuis plusieurs années. Avant l’arrivée de ChatGPT, il existait déjà des des modèles de large language de type GPT, avec des algorithmes traitant des données. D’outil de traitement, l’IA a ensuite basculé vers les métiers intellectuels, vers l’aide à la conception. Voir le vaste champ de connaissances que l’intelligence artififielle ouvre devant nous, je trouve cela fascinant. Son champ exploratoire est immense.
L’association Intelligence Artificielle Réunion, que vous avez fondée avec Johan Equixor, a vu le jour en juillet 2023. Quelle a été la genèse de cette association, quelles sont ses buts aujourd’hui, et qui la compose ?
Johan et moi étions tous les deux passionnés par l’IA. Nous nous sommes demandé si d’autres personnes ne partagaient pas cette passion, qui pourraient se joindre à nous dans une démarche associative. L’autre raison, c’était le constat du nombre considérable de choses fausses ou erronées véhiculées sur les IA. Dans les missions de l’association, nous nous sommes fixées la démystification de l’IA. Nous avons fait de très nombreuses conférences à ce sujet, pour expliquer ce qu’est l’IA et ce qu’elle n’est pas, comment bien utiliser ses outils, mais aussi avertir de leurs limites et de leurs dangers : à quoi il faut faire attention lorsque l’on utilise de l’IA, dans la mesure où ce sont des données qu’on lui fournit. Nous voulions faire passer ces messages. Nous avons été très sollicités, et nous le sommes encore beaucoup. Rien ne nous ravit plus que de voir des gens nous confier plus tard qu’ils utilisent désormais l’IA alors qu’ils en avaient peur. C’est une grande satisfaction pour nous d’avoir fait ce travail qui a touché des milliers de personnes et d’entreprises.
La course mondiale à l’IA semble emmenée par les deux rivaux principaux que sont les États-Unis et la Chine. L’Europe, et la France en particulier, sont-elles vraiment à la traîne et en train d’être dépassées ?
Oui, en partie. En Europe, on a fait le choix de commencer par réguler. Les tractations de l’European AI Act ont commencé dès 2021. Trois ans plus tard, on a un texte qui ne colle déjà plus aux technologies actuelles, comme les large language models ou la génération d’images, ni aux questions qu’elles posent sur la propriété intellectuelle et tout le droit autour. Résultat : cette réglementation européenne fait peur aux entrepreneurs et elle est probablement obsolète. Il faut penser aussi aux moyens considérables qu’il faudrait mettre en œuvre pour prouver que des entreprises ne respectent pas la loi. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas réguler. Au contraire, une régulation est nécessaire. La RGPD donne l’exemple de ce qu’il faudrait faire : elle a été précurseur en Europe avant d’inspirer d’autres pays, tels que les États-Unis. Il faut donc rapidement mettre à jour cette réglementation sur l’IA et trouver le juste milieu pour sécuriser les data sans brider l’innovation et l’entrepreneuriat. Et pour répondre à votre question : sommes-nous en train d’être dépassés ? Peut-être. Est-ce que les 109 milliards d’euros annoncés par la France et les 200 milliards annoncés par l’Union européenne seront suffisants ? Je l’espère. Mais ce n’est pas qu’une question d’argent et de régulation. Entrent en jeu les matériels et les infrastructures pour faire tourner tout cela : les data centers, les puces électroniques. Qui les fabrique, et en avons-nous suffisamment ? Avons-nous les bases de données de qualité nécessaires ? Avons-nous les personnes compétentes qui ont envie de travailler en Europe parce que les salaires y sont attractifs et le modèle d’entrepreneuriat intéressant ?
Quel est l’enjeu de souveraineté dans la maîtrise de l’IA ?
Lorsqu’on parle d’IA, on oublie souvent de parler de deux autres choses. La data : comment je la collecte et par où elle transite. C’est tout l’enjeu du new space, qui se trouve au-dessus de nos têtes avec les satellites Starlink massivement déployés par Elon Musk depuis plusieurs années. À l’heure actuelle, un pourcentage limité de la data transite par Starlink. Mais cette data est-elle sécurisée ou dupliquée par Starlink ? On n’en sait rien. Il y a donc un véritable enjeu géopolitique dans la maîtrise de la donnée, de l’IA et de ses infrastructures. Si l’Europe souhaite rattraper son retard à ce niveau également en déployant son propre réseau de satellites, c’est pour assurer sa souveraineté sur la bande passante. La Chine aussi est en train de déployer sa propre constellation de satellites. C’est une question de circularité entre la data, les infrastructures, les réseaux de transmission et le dernier maillon : l’IA, qui génère de nouvelles données qui vont alimenter les infrastructures, etc.
Comment les IA sont-elles alimentées en données ?
Nous générons énormément de données via nos téléphones et nos cartes diverses et variées. La data est également générée et collectée par le biais de nos recherches sur le Web, de tout ce que nous publions sur les réseaux sociaux, etc. Un être humain représente 30 millions de points de contact de données par an, c’est bien plus de données que nous n’en avons conscience ! Ces 30 millions de données sur nous, les Gafam ne se contentent pas de lesposséder. Ce sont aussi des données qui se vendent et se revendent, souvent sans notre consentement. La donnée alimente un gros business.
Peut-on parler d’« IA métier » comme on parle d’« application métier » ?
Je ne connais pas ce terme d’« IA métier ». À partir du moment où vous avez de la donnée numérisée en quantité suffisante, on peut imaginer une IA pour la traiter. Je prends l’exemple de l’expertise-comptable, qui voit non seulement ses pratiques de saisie comptable bouleversées par l’IA, mais sa relation avec les entreprises changer de nature. En marketing, on a ce type d’approche de la data, et cela s’incrémente de plus en plus. On voit également beaucoup de logiciels de gestion d’entreprise qui évoluent en intégrant l’IA, facilitant et accélérant le travail. On voit apparaître ce que l’on appelle les agents IA, AI agents. Plutôt que de prompter et taper soi-même sur l’ordinateur, on configure des IA qui communiquent entre elles. L’IA A va chercher l’information sur Internet, la transmet à l’IA B, qui la résume et la transmet à l’IA C pour publication, sur une page LinkedIn par exemple. Dans ce processus d’interaction entre IA, l’humain se contente de valider le résultat final.
Les ressources existent-elles localement pour concevoir des intelligences artificielles adaptées aux besoins des entreprises locales, et y a-t-il une demande dans ce domaine ?
Oui, il y a de la demande et de la ressource. Duke est un exemple : cet assistant intelligent, qui gère et facilite l’accès à toutes les données de l’entreprise, a été conçu à La Réunion. Un domaine où l’on voit une forte demande d’innovation, c’est la santé. Or, nous avons Lucidia à La Réunion, qui a conçu une application basée sur l’IA pour le pilotage médico-économique des établissements de santé. Cette start-up faisait partie de la délégation réunionnaise venue à Paris pour le Sommet de l’IA. Mais il faut comprendre que ces start-up s’adressent certes au marché réunionnais, mais aussi aux marchés français et européens. La Réunion est un superbe laboratoire pour développer, tester et avoir des retours rapides sur l’innovation, mais l’enjeu est toujours, après, de passer à l’échelle hexagonale, européenne, voir plus idéalement. On trouve aussi localement des entreprises initialement spécialisées dans le traitement de la data qui sont en train de basculer dans la génération d’IA à implémenter dans les entreprises : la bonne IA, à la bonne taille et au bon endroit. Il existe localement toutes les ressources et compétences nécessaires pour accompagner de A à Z les entreprises dans la mise en place d’IA.
Les initiations Transfornum proposées par Digital Réunion sur les usages du numérique, que vous animez, ont déjà été suivies par plus de 300 entreprises. Quel est le programme ?
Il y a d’abord le travail de démystification dont je parlais tout à l’heure. On voit alors chez les participants l’envie de comprendre quelle peut être la stratégie IA qui pourrait être mise en place dans l’entreprise. Car intégrer une IA nécessite une stratégie, et la stragégie à suivre pour l’entreprise Y n’est pas la même que celle pour l’entreprise Z. Le point de départ, c’est une évaluation de la data : quel type et quelle quantité de data a l’entreprise, et à quelle note elle correspond. La notation de la data va d’une étoile à cinq étoiles. Cinq étoiles, c’est le top, cela signifie qu’il y a suffisamment de data pour entraîner des modèles d’IA. Une étoile, le niveau le plus bas, signifie que les données ne sont même pas numérisées : il faudra donc d’abord les numériser afin de les rendre lisibles par l’outil informatique, puis les regrouper, les classer, etc. La demande sur les IA et la manière de les intégrer à l’activité va croissante. Ce sera l’enjeu de mes prochaines sessions Transfornum : comment réfléchir à une stratégie d’IA dans son entreprise.
Des « arnaques au président », avec des images trompeuses générées par IA générative, se sont produites à La Réunion. Peut-on se prémunir contre ce type d’agissements alors que l’IA semble effacer la frontière du vrai et du faux ?
En cybersécurité, le maillon le plus faible, c’est toujours l’humain. L’arnaque au président en est une illustration parmi d’autres. Si ses moyens n’étaient pas aussi sophistiqués qu’ils le sont aujourd’hui avec l’IA, l’arnaque au président existe depuis très longtemps. « Je ne crois que ce que je vois », disait saint Thomas : ce n’est plus possible en 2025. Nous sommes dans une société où l’on ne peut plus croire sans réserve à ce que l’on voit et à ce que l’on entend, où la vue et l’ouïe peuvent être bluffées, où il faut donc être prêt à se demander si ce que l’on voit ou entend a pu être généré par IA. Je n’aurai peut-être pas la réponse, mais cela réveillera mon esprit critique. Avec ou sans IA, la cybersécurité est une course, un jeu du chat et de la souris. L’IA nous impose de redoubler d’efforts, d’esprit critique et de vigilance.
Que répondre à celles et ceux qui voient d’abord dans l’IA des suppressions d’emplois ?
Je comprends tout à fait leurs inquiétudes. Cela fait plusieurs décennies qu’on nous prévient que, dans le futur, nous serons remplacés par des robots. Maintenant, on parle d’IA. Non, le risque en matière d’emploi n’est pas d’être remplacés par des IA, mais par des gens qui utiliseront l’IA. Aussi j’invite celles et ceux qui ont peur des suppressions d’emplois à utiliser ces outils pour comprendre comment ils fonctionnent et leurs limites. Je prône l’essai de cet outil et la persévérance dans son utilisation, pour pouvoir se forger son propre avis plutôt que de se figer d’emblée et de s’empêcher d’agir. Le but est de faire des IA des alliées. L’humain a une valeur ajoutée qui est indéniable et n’est pas près d’être remplacé par des IA. La meilleure preuve : quand ChatGPT est sorti, de grands cabinets d’experts nous ont avertis que six mois plus tard plus personne n’aurait de travail. Deux ans ont passé : nous avons globalement encore tous nos jobs.
L’IA offre-t-elle des opportunités pour l’émancipation des femmes ?
Pour l’émancipation des femmes et des hommes. L’opportunité, c’est déjà d’apprendre à se former. Avec un travail, des enfants à charge, on n’a pas forcément le temps de se former. Il existe des outils dotés d’IA qui facilitent les apprentissages. Je prends l’exemple des langues, des traductions instantanées d’une langue en français. L’émancipation passe aussi par le besoin de compétences sur des métiers existants, naissants ou qui n’existent pas encore et qui sont à créer. La demande pour ces nouveaux métiers est en train de s’accroître. Prenez l’exemple du management de la connaissance IA. Aujourd’hui, très peu de gens le font. L’IA pouvant s’appliquer à de nombreux domaines, en couplant votre savoir-faire avec l’IA, il y a forte chance que vous soyez parmi les premières ou premiers à le faire. Vous voyez l’opportunité ? C’est ce qu’on appelle être sur un océan bleu, où ne naviguent encore que très peu de personnes. J’ai une connaissance, je vais chercher une IA pour améliorer mon travail, gagner en qualité, en efficacité, en temps : je fais évoluer mon métier. Pour moi, une telle démarche fait partie de l’émancipation, des femmes et de qui que ce soit. C’est de cette manière que vont se créer de nouvelles connaissances et de nouveaux métiers.
Promouvoir la connaissance et l’usage de l’IA n’est pas la seule mission de Digital Réunion. L’association a changé de gouvernance. Elle possède désormais deux présidents et vous en assurez la direction générale depuis avril 2024. Faut-il parler d’une renaissance de Digital Réunion ?
Je suis là pour cette renaissance. Je participe à l’impulsion redonnée à l’association pour solder ce qui peut l’être et recréer une dynamique, une cohésion, auprès de nos adhérents et de nos partenaires. Cette renaissance demande énormément d’énergie. Elle est en cours et je suis ravie de ce qui est en train de se passer. Le phénix renaît de ses cendres. Mon ambition, c’est que ce phénix, pour reprendre cette métaphore, puisse voler de ses propres ailes sans avoir besoin de moi. Recréer une équipe, travailler sur de très nombreux sujets. C’est un challenge difficile, intense et passionnant. Cela me fait grandir. J’ai pris dix ans d’expérience en un an !
Le message de la transformation numérique des entreprises se heurte-t-il à des obstacles ?
L’obstacle principal, qui est tout à fait normal, c’est la résistance au changement. Changer demande de l’énergie et fait peur : on sait d’où l’on vient, mais pas où l’on va. Ce que je constate chez les participants au programme Transfornum, c’est une forte conscience qu’il faut y aller. Je suis pour un accompagnement au changement en douceur, je prône les petits pas. Pas question de dire qu’on efface tout. Dans mon tutorat, il n’y a pas de bonnes ni de mauvaises notes. Le but est de convaincre tout le monde qu’il peut y arriver, d’inciter à essayer les outils numériques, de montrer comment les utiliser et d’accompagner étape par étape dans cette maîtrise. Je l’ai toujours constaté : expliquer le comment, c’est la clé de l’adhésion au changement. Quand on répond à la question du comment, les gens sont beaucoup plus sereins pour comprendre les bénéfices que le changement leur apportera.
Digital Réunion œuvre à créer « l’équipe de La Réunion de l’IA », en écho à l’équipe de France de l’IA que Véronique Torner, la présidente de Numeum, appelle de ses vœux. Qui compose cette équipe réunionnaise de l’IA ?
Il y a deux choses. L’équipe de La Réunion du numérique d’une manière générale, dont Digital Réunion fait partie, avec Cyber Réunion, la French tech les entreprises de la tech et les acteurs publics. L’objectif est de jouer collectif parce qu’en groupant nos forces nous avons plus d’impact. Ensuite il y a la volonté de Digital Réunion de monter l’équipe de La Réunion de l’IA. Avec les soutiens de Numeum, du Medef, de la Région Réunion, avec laquelle un contrat de filière est en train d’être élaboré. Dans cette équipe de l’IA, on retrouve la French Tech, puisque l’IA, c’est du numérique appliqué à l’innovation, l’association Intelligence Artificielle Réunion, ainsi que l’agence régionale de l’innovation. Là encore, il s’agira de jouer groupés, plus particulièrement sous une forme qui fonctionne bien à La Réunion : les partenariats privé-public. Je cite l’exemple du nouvel appel à candidatures de la Région Réunion pour participer au salon Viva Technology, l’événement de la tech numéro un en Europe, au mois de juin. Grâce à ce partenariat public-privé, j’espère que nous pourrons mettre en avant les dernières avancées réunionnaises en matière d’IA et d’innovation de manière générale.
* Numeum est la principale organisation professionnelle de l’écosystème numérique en France.
** Luc Julia, directeur scientifique de Renault, directeur technique et vice-président pour l’innovation chez Samsung Electronics, coconcepteur de Siri, l’assistant vocal d’Apple. Invité de l’événement KWA L’IA FÉ, organisé par le centre de formation au marketing digital Crealise et Digital Réunion, Luc Julia est venu à La Réunion au mois de décembre 2024 pour une semaine de conférences et de rencontres sur l’IA.
Anaïs Sery : la passion d’apprendre et de transmettre
« J’ai fait toutes mes études à La Réunion », souligne Anaïs Sery. DUT en gestion des entreprises et des administrations, ensuite spécialité marketing. Démarrage dans la vie professionnelle dans le conseil en marketing. Mais aussi et surtout, ce qui caractérise la démarche d’Anaïs Sery, c’est une volonté de mettre à jour, d’enrichir et de croiser des savoirs en permanence, ce qui lui fait maîtriser et être capable de vulgariser un grand nombre de connaissances pointues. « Je continue à me former, essentiellement en ligne, sur les sujets de l’IA, du marketing et sur d’autres domaines que je trouve hyper intéressants, comme le leadership. » Avec son mari, aujourd’hui décédé, elle a créé Conseil Marketing Réunion en 2015. Puis, tout en menant des missions d’accompagnement et d’études de marché, son activité s’est axée sur le développement de la marque Sumup, qui propose des solutions numériques innovantes de paiement, à partir de terminaux mobiles, adoptées par de nombreux commerçants. « Je me suis principalement consacrée, jusqu’en 2022, au déploiement de Sumup à La Réunion et à Mayotte. Ensuite est venue l’IA, avec la volonté de créer l’association Intelligence Artificielle Réunion. J’assure la direction générale de Digital Réunion depuis le mois d’avril 2024, mais je reste une cheffe d’entreprise. Je donne des formations à des acteurs publics et privés sur l’intelligence artificielle. Je mets aussi en pratique l’IA au sein de mon entreprise. »