Parmi le contentieux des affaires, l’absence de formalisation est un grand classique. Julien Gasbaoui, avocat consacrant son activité au droit pénal des affaires et à la défense des professionnels du chiffre, alerte les entreprises en croissance sur la nécessité d’organiser la délégation de pouvoirs.
Le cas est récurrent : une société se développe et le dirigeant, qui était initialement sur tous les fronts, délègue certaines tâches au fur et à mesure des recrutements. La gestion s’exerce sur un mode informel : « C’est mieux, plus rapide, et puis… tout le monde se connaît au sein de la structure ! » Tout se passe bien donc, jusqu’au jour où survient une difficulté, qui peut être de plusieurs ordres : on découvre que les normes d’hygiène ou de sécurité ne sont pas respectées (souvent à la suite d’un accident entraînant des blessures, voire la mort – spécialement dans le secteur du bâtiment ou des transports), qu’une partie de la production est contrefaite, ou que des salariés ont été recrutés dans des conditions douteuses. Autrement dit, des délits existent au sein de la société et le dirigeant, qui les ignorait, sera le premier suspect. Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, le grand classique se poursuit. Les enquêteurs poseront des questions simples, mais les réponses, elles, ne le seront jamais. Les fiches de poste ne correspondent pas vraiment à ce que racontent les salariés de leur quotidien, les formations ne sont pas toujours adéquates, les dates sont imprécises, et, surtout, le dirigeant n’a rien formalisé. Ce dernier va alors claironner qu’il n’était plus physiquement présent sur les chantiers, qu’il ne s’intéressait plus à l’activité litigieuse depuis des années, rien n’y fera.
Seule la formalisation de la délégation protège le dirigeant
En effet, selon la chambre criminelle de la Cour de cassation, si, au regard de l’importance d’une société, le dirigeant ne peut gérer personnellement tous les secteurs d’activité de celle-ci, il ne sera hors de cause qu’à condition bien évidemment de n’avoir pas personnellement pris part à l’infraction, mais surtout de rapporter la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires. C’est la raison pour laquelle les avocats et les experts-comptables doivent conseiller leurs entreprises clientes d’anticiper, et leur proposer la rédaction d’une délégation de pouvoirs qui, dûment datée et signée, restera la meilleure preuve de l’existence et de l’effectivité de la délégation accordée. Dans la plupart des cas, deux ou trois pages correctement rédigées peuvent éviter au dirigeant des poursuites pénales aux conséquences lourdes.
Un écrit court aux termes simples
Le fait de bien connaître le salarié ne change rien à la donne, le fait qu’il soit loyal non plus. Face à la pression d’un juge, les dirigeants ont systématiquement tendance à se défausser sur leur salarié ; ce qui s’avérera totalement vain. Les risques sont réels et une condamnation à une amende, à de la prison avec sursis, voire à une interdiction de gérer, peuvent compromettre une carrière. Les questions suivantes doivent être posées et discutées. Qui fait quoi au sein de l’entreprise ? Les fiches de poste correspondent-elles bien à cette fonction ? L’intéressé a-t-il les compétences, la formation, l’expérience et la rémunération pour se voir déléguer telle ou telle fonction ? Il s’agira de reprendre toutes ces réflexions dans un écrit court, aux termes simples, en évitant les délégations imprécises (l’adverbe « notamment » est à proscrire : on doit précisément savoir quelles sont les responsabilités que le dirigeant a déléguées au salarié) ; les délégations trop larges (un dirigeant reste le principal responsable et le salarié, même sérieux et compétent, n’a pas vocation à devenir un dirigeant de fait) ; les délégations trop courtes (toutes les fonctions déléguées doivent figurer)